Le raid français sur Winchelsea, le 15 mars 1360
Le contexte
Le régent de France — qui ne pouvait affronter l’armée d’Édouard III sur un pied d’égalité après les désastres de Crécy (1346) et de Poitiers (1356) — n’avait jamais renoncé à l’idée de porter la guerre sur le sol anglais. L’occasion se présenta en mars 1360, alors qu’Édouard III assiégeait Paris. Profitant de l’éloignement des principales forces anglaises, le régent élabora un projet audacieux : lancer un raid sur les côtes du Sussex, à Winchelsea.
Il chercha d’abord l’appui de Waldemar III, roi du Danemark, ennemi déclaré de l’Angleterre et possesseur d’une flotte de guerre redoutable. Le régent espérait unir leurs forces pour frapper l’ennemi chez lui. Mais l’opération tourna court : Waldemar ne s’engagea pas, et cette déconvenue refroidit durablement le régent quant à l’idée de solliciter des alliés étrangers.
Il se tourna alors vers les Picards, marins chevronnés dont les côtes avaient été ravagées par les chevauchées anglaises. Leur motivation ne faisait aucun doute. Le régent leur confia donc la préparation de l’expédition. Les objectifs étaient multiples :
Contraindre Édouard III à lever le siège de Paris et rentrer prématurément en Angleterre.
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Profiter de l’absence de l’armée anglaise pour tenter de libérer le roi Jean le Bon, captif à Londres ;
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Rendre à la France l’initiative militaire, perdue après les humiliante défaites ;
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Récupérer, par représailles, les trésors picards pillés lors des incursions anglaises.
Ainsi fut décidée, organisée et lancée la descente en Angleterre : un acte téméraire, destiné à frapper l’adversaire au cœur et à redonner confiance au royaume meurtri.
La localisation

Les forces en présence
Amies : le royaume de France avec 1 500 Picards et Normands
Ennemies : le royaume d’Angleterre avec 300 cavaliers de l’arrière-ban et quelques troupes anglaises de la garnison.
Les pertes
Amies : Quelques soldats de Winchelsea et 160 dans le port de Ryes.
Ennemies : inconnues, mais nombreuses
Le raid
Le régent nomma Jean de Neuville, neveu d’Arnoult d’Audrehem
, maréchal de France, pour conduire l’expédition. Il lui octroya deux mille deniers d’or fournis par la ville de Paris, tandis que les bonnes villes de Picardie apportaient le reste des fonds, en deniers et en florins. Paris équipa un navire en vivres et en hommes, confié à Pépin des Essarts, tandis que Rouen arma une nef complète, la Notre-Dame de l’Eure. Mais c’est la Picardie qui fournit le contingent le plus important, placé sous le commandement du connétable Moreau de Fienne
et du comte de Saint-Pol.
Le 14 mars 1360, une flotte composée de nombreux navires et d’environ mille cinq cents hommes appareilla des côtes picardes. Le débarquement eut lieu sans résistance dans le comté de Sussex, au petit port de Rye, non loin de Winchelsea.
L’armée française fut alors divisée en trois corps. Le premier, dirigé par Jean de Neuville et ses Normands ; les deux autres, formés de Picards, sous les ordres du connétable et du comte de Saint-Pol qui, par orgueil de grade, refusèrent de se placer sous l’autorité d’un capitaine de moindre rang.
À Winchelsea, la garnison attendait déjà les Français. Malgré une pluie de traits, ceux-ci avancèrent, renversèrent les lignes anglaises et les contraignirent à se réfugier dans la ville. Les retardataires furent massacrés. Les Français pénétrèrent ensuite dans Winchelsea, abandonnée par ses habitants, et la pillèrent méthodiquement, embarquant tout ce qui pouvait l’être, comme l’avaient fait les Anglais lors de la chevauchée d’Édouard III en Normandie, en 1346. Avant leur départ, ils mirent le village à feu.
À Londres, la nouvelle de l’incursion française provoqua une onde de choc. Le chancelier convoqua l’arrière-ban et fit transférer en urgence le roi Jean II, prisonnier, vers une forteresse du pays de Galles, plus sûre.
Pendant ce temps, les Français s’enfonçaient dans la campagne du Sussex. Informés de l’avance de l’arrière-ban anglais, ils repoussèrent un premier assaut, malgré la perte de quelques fourrageurs. Mais la perspective d’être encerclés les décida à renoncer à l’occupation de Winchelsea. Jean de Neuville et le connétable ordonnèrent l’embarquement immédiat.
Les Anglais, découvrant leur retraite, lancèrent une attaque soudaine. Les Français rembarquèrent en hâte, mais une petite troupe occupée à piller le port fut oubliée. Surpris, ces hommes furent tués : cent soixante périrent, et les survivants, tentant de regagner les nefs dans la panique, se noyèrent.
Une fois regroupée, l’escadre mit toutes voiles dehors vers Calais, que Moreau de Fienne et le comte de Saint-Pol espérèrent assiéger. La ville opposa toutefois une résistance trop forte, et l’entreprise échoua. Les troupes débarquèrent finalement à Boulogne, puis chacune regagna ses terres. Ainsi s’acheva le raid.
Les conséquences
Le succès de cette campagne n’eut pas d’effet déterminant sur le cours de la guerre entre la France et l’Angleterre. Il provoqua cependant un vif choc outre-Manche : l’ennemi avait posé le pied sur le sol anglais. La Manche n’était donc pas l’obstacle infranchissable que l’on croyait. Avec davantage d’hommes et de machines de guerre, les Français auraient pu menacer l’île tout entière — et peut-être même Londres.

Lorsque Édouard III apprit l’incursion, il entra dans une colère terrible. Il fit transférer Jean II de son hôtel du Savoy à la Tour de Londres, puis ravagea tous les villages situés sur sa route. Il ordonna à une flotte de quatre-vingts navires et quatorze mille hommes de patrouiller la Manche et même l’Atlantique pour capturer les responsables de l’expédition. Il voulait laver l’Angleterre de l’humiliation du raid de Winchelsea.
Mais la mer était vide : tous les navires français se trouvaient déjà à l’abri dans leurs ports d’attache. Le roi d’Angleterre ne trouva rien — sinon le souvenir cuisant d’une incursion française réussie.