LA BATAILLE D’OTHEE, LE 23 SEPTEMBRE 1408
Aujourd’hui, je vais vous parler d’une bataille pendant la guerre de Cent ans qui n’eut aucun impact dans le conflit qui opposèrent les royaumes de France et d’Angleterre, mais affermit le pourvoir d’un prince de France, Jean Ier, duc de Bourgogne, dit Jean sans peur, sur les duchés au Nord de la Bourgogne : la bataille d’Othée, le 23 septembre 1408.
On n’efface pas trois siècles de la vie d’un peuple, on n’enchaîne pas ainsi son avenir, surtout, quand ce peuple désire une noble chose, la li-ber-té.
Othée est une commune de Belgique, située en Wallonie dans la province de Liège. Au XVe siècle, Othée est le théâtre de rudes et sanglants combats entre l’évêque de Liège et ses citoyens.
Jean III de Bavière, fils du comte de Hainaut, de Hollande et de Zélande et petit-fils de Louis IV, empereur des Romains, est intronisé prince-évêque de Liège à l’âge de 17 ans. C’est un jeune homme libertin, assoiffé d’or et d’argent. Par ses besoins grandissants, le peuple souffre des taxes et des impôts de plus en plus lourds.
Le prince reste sourd aux doléances des communes de sa principauté ecclésiastique de Liège et fait exécuter sommairement les partisans de la cause populaire. Le soulèvement devient général. Pris à parti, lui et ses proches se réfugient à Maastricht.
Il faut un chef à cette insurrection. Le bourgmestre de Liège pense à Henri de Horne, le sire de Perwez1. Celui-ci refuse, d’abord, la charge de « mambour2 » en homme bon et honnête. L’intervention de sa femme vaine et ambitieuse le fait changer d’avis. En effet, le bourgmestre lui dit : « Dame, le pays de Liège est dans la plus affreuse anarchie, et Jean de Bavière est la cause de tous nos maux. Il faut une main ferme et puissante pour gouverner les Liégeois. Que le sire de Perwez accepte la charge et nous nommerons votre fils, Thierry, évêque de Liège ». L’affaire est conclue. Après plusieurs discussions avec sa femme, il accepte le mandat. Le sire devient « mambour » et son fils évêque. À cette nouvelle, les villes se soulèvent et acclament les sauveurs. Les gens crient : « Mort aux amis bavarois ». À Liège, le peuple se venge sur les conseillers du prince restés en place. Ils sont emmenés à l’échafaud et sont décapités au grand dam du sire de Perwez.
Jean III de Bavière sollicite des secours en France, en Allemagne et auprès d’autres princes. De retour à Maastricht, en décembre 1407, il est assiégé par des Liégeois pendant six semaines. Le froid étant vainqueur, le siège est levé. En représailles, le prince avec ses troupes ravage les alentours, brûle des villages et les églises avec les habitants à l’intérieur. Le possible rapprochement entre Jean de Bavière et son peuple est définitivement abandonné. La guerre s’annonce.
contre
Son frère, Guillaume IV, le comte de Hainaut lui envoie des renforts. De l’autre côté, le duc de Bourgogne, Jean sans peur, rassemble son armée bourguignonne et flamande ainsi qu’un corps expéditionnaire écossais et marche sur Liège. Il est rejoint par des troupes françaises, commandées par le dauphin d’Auvergne, envoyées par le roi de France.
Apprenant l’arrivée imminente d’une forte armée du prince et de ses alliés, le sire de Perwez demande à chaque citoyen de s’armer au plus vite. Il rassemble plus de trente mille hommes, dont cinq à six cents cavaliers fortement équipés et cent vingt archers anglais. Avant de partir, il harangue ses soldats.
— Soyez unis, je vous en conjure, et préparez-vous à mourir, s’il le faut, en défendant vos vies et votre pays ! Tel est notre destin.
La bataille d’Othée va commencer. Le sire de Perwez organise son armée et distribue les ordres à ses capitaines. Puis, on marche sur l’ennemi avec une grande quantité de canons, de chars et de charrettes remplies de vivres et d’armes.
Le tumulus d’Othée appelé localement Grosse Tombe est un tumulus circulaire recouvrant une ou plusieurs sépultures et composée de terre et de pierres
Il s’arrête et campe dans la plaine d’Othée sur une petite hauteur appelée la grande tombe d’Othée. En face, le duc de Bourgogne et le comte de Hainaut sont à la tête de trente-cinq mille hommes des meilleures troupes. Ils rangent leur armée et attendent l’ennemi. Ils patientent, reçoivent quelques boulets de canon, mais ne sont pas attaqués. Ils décident de donner l’assaut. Le duc place son armée en ligne serrée sauf cinq cents cavaliers et mille piétons qui contournent les Liégeois pour les prendre sur leur flanc. Avant de sonner la charge, il parle à ses hommes.
— Marchez hardiment contre ces gens des communes de Liège, rebelles à leur évêque et seigneur ! Ne craignez rien d’eux qui ne sont propres qu’à la manufacture et à la marchandise !
L’ordre est donné. L’armée bourguignonne s’ébranle. Les Liégeois sont impatients de combattre. En voyant une partie des troupes se séparer de l’armée, ils disent.
— Voyez ces couards qui s’enfuient !
— Mes très chers amis, corrige le sire de Perwez, ils ne s’enfuient pas. Bien au contraire, quand vous engagerez le combat avec ceux qui montent, ces cavaliers que vous pensez qu’ils fuient, vous prendront de travers et s’efforceront de vous séparer. Mes très chers amis, écoutez-moi. Restez en rang serré, ne vous disloquez pas. Mettez votre espoir en Dieu et attaquez vaillamment vos ennemis.
Il réunit, alors, ces meilleurs hommes et protège, par des chariots, le flanc par lequel ils seront attaqués. Les autres, ne comprenant pas cette tactique, lui crient : « Traître, tu veux passer du côté de l’ennemi. Viens ici ! Il faut combattre avec les communes. » Le sire souffre des insultes. Obligé, il prend place au centre de l’attaque. Le contact est rude. On entend des cris « Notre dame au duc de Bourgogne » et « Saint Lambert au Seigneur de Perwez ». Pendant une heure, la victoire reste indécise. Le point fort de la bataille se situe du côté de la bannière du duc.
Il court des uns aux autres. Le sire de Perwez enfonce les lignes bourguignonnes à coup d’estoc, à gauche et à droite. Il est suivi par ses compagnies. Comme il l’avait prévu, les Liégeois sont attaqués par leur flanc droit. Les chariots, mis en place pour empêcher cette avancée, ne changent rien. Les bourguignons fondent sur leur ennemi et ne font pas de quartier. L’armée de conjurés est séparée. Maintenant, en défense, six mille s’enfuient. Ils sont rattrapés et sont tous tués. De retour dans les combats, les bourguignons entrent par l’arrière. Pressés de tous les côtés, les Liégeois cèdent. Les rangs sont rompus, c’est une boucherie. Dans le corps à corps, le sire de Perwez et son fils sont tués à quelques mètres de la bannière du duc. Un historien contemporain écrivit sur cette bataille : « Les morts étaient plus nombreux que les épis de blé lors de la moisson ».
Le lendemain matin, Jean III de Bavière arrive sur le lieu des combats. On lui présente la tête du sire de Perwez planté au bout d’une pique. En représailles, il fait pendre ou écarteler les principaux instigateurs de cette insurrection. Douze députés se jettent aux pieds du prince en implorant la clémence. Mais, elle est très dure. Ils doivent lui livrer un certain nombre de bourgeois et la veuve du sire de Perwez. Il ordonne que leurs têtes soient coupées, jetées à terre lors de son entrée dans la ville et que les Liégeois crient : merci, prince ! Merci prince ! Il fait brûler toutes les nobles bannières qui ravissaient les Liégeois. Toutes les charges et franchises sont supprimées. D’où son surnom de Jean sans pitié.
Dix ans plus tard, les Liégeois avaient reconquis tous leurs privilèges. Jean de Bavière abdiqua. Il abandonna l’évêché de Liège et réussit à se faire reconnaître le comte de Hainaut, de Hollande et de Zélande. Après une séparation mouvementée avec sa femme Élisabeth de Goerlitz, duchesse engagère du Luxembourg, il dut céder tous ses titres sauf celui de comte de Hollande. Il mourut inopinément, sans héritiers, en 1425. On eut dit qu’il serait mort par empoisonnement.
Mémorial de la bataille d’Othée e n1408
Source : Jean sans Pitié, ou la bataille d’Othée — Mathieu Lambert Polain · 1836
1Commune francophone de Belgique située en Région wallonne.
2Terme vieilli synonyme de régent et chef des armées.