CHARLES V, EXERCICE DU POUVOIR, 7° PARTIE, 1375-1377
La chevauchée ratée de Jean de Gand, duc de Lancastre et fils d’Édouard III, pour renforcer l’armée anglaise en Guyenne a épuisé les ressources financières du roi d’Angleterre. Charles V profite de la situation. Il ordonne au duc d’Anjou et à Bertrand du Guesclin, son connétable, d’avancer sur Bordeaux. La Gascogne méridionale tombe entre les mains des Français. Les barons à la solde des Anglais comme le vicomte de Castelbon, les seigneurs de Mont-Marsan et de Chateauneuf, l’abbé de Saint-Sever, le comte de Foix et bien d’autres sont forcés de prêter allégeance au roi de France. Dans la foulée, le duc d’Anjou s’empare des villes de la Basse-Gascogne comme La Réole ainsi que quarante villes et châteaux qui se livrent sans opposer de résistance. Début 1375, il ne reste plus aux Anglais en Aquitaine que Bordeaux, Bayonne et quelques places.
Le souverain pontife, Grégoire XI, voulant trouver un accommodement entre les deux parties, obtient une trêve d’un an après d’âpres discussions qui sera prolongée jusqu’au mois de juin 1377.
Mais des évènements importants feront basculer l’avenir des deux pays à la fin de cette période.
Le 8 juin 1376 meurt le prince de Galles et d’Aquitaine. Il n’était âgé que de 45 ans. Il laisse un fils de dix ans appelé Richard qu’Édouard III reconnaît immédiatement comme héritier du trône d’Angleterre. Il était grand temps. En effet, Édouard III meurt à son tour le 21 juillet 1377, un an après son fils à l’âge de 65 ans. Charles V disait de lui : « Que bien noblement et bien vaillamment il avait régné, et que bien devaient être de lui nouvelle et mémoire au nombre des preux. »
Pendant cette trêve, Charles V en profite pour affermir l’autorité royale. Je vous citerais les plus importantes réformes.
1) Il réorganise l’armée
En effet, par le passé, les rois enrôlaient des mercenaires pour leurs batailles et les licenciaient quand leurs présences ne s’avéraient plus nécessaires comme après le traité de Brétigny de 1360.
Charles V réunit les princes, les maréchaux et les principaux chefs de ses troupes, pour consultation. À l’issue, il est décidé de créer une police militaire qui accorde aux défenseurs de l’État des honneurs et des avantages qui leur sont dus. Cela assure ainsi une tranquillité publique.
Le connétable, Bertrand du Guesclin, les maréchaux, Jean IV de Mauquenchy et Louis de Sancerre et le Grand-maître des arbalétriers, Hugues de Châtillon-Dampierre reçoivent l’ordre de choisir leurs lieutenants chargés de la revue des troupes et de la formation des compagnies. Le nombre d’hommes est fixé à cent. Chaque chef de compagnie reçoit cent livres par mois. En contrepartie, les commandants sont responsables de la conduite de leurs hommes. Dans cette ordonnance, Charles V interdit aux hommes d’armes de se retirer sans la permission de son supérieur sous peine de perdre son salaire, de ne rien exiger des habitants des villes et des campagnes sans payer et de ne commettre aucun désordre sur leur route quand ils rentrent chez eux. Charles V engage aussi de grosses dépenses dans la construction d’une forte marine de Guerre. Il impose maintenant des canons à poudre sur les navires de guerre.
Un des premiers effets de ces mesures est de rendre l’armée plus docile et maniable au service du roi.
2) Il interdit certaines vexations
Le roi réforme aussi les vexations pratiquées par les gouverneurs et commandants de place. Il leur interdit de prélever des sommes exorbitantes pour des exemptions de guet, de service ou de garde.
3) Il fixe l’âge minimum pour être roi
Charles V fixe à treize ans révolus la majorité des rois de France. Il pense qu’à quatorze ans, on peut gérer l’administration d’un royaume, suivre une formation de chevalier et être instruit sur les bonnes mœurs, vertus et honneur. L’ordonnance est enregistrée en séance solennelle du Parlement le 21 mai 1375.
4) Il réprime la corruption des mœurs
Par ordonnance, il réprime les jeux frivoles à ses sujets. Il interdit, sous peine d’amende, les jeux de dés, d’échecs, de quilles, de palets et autres. Il les exhorte à s’entraîner au tir à l’arc, à l’arbalète et à l’exercice de la lance.
5) Il favorise le progrès de la science et les arts
Il donne des pensions à tous ceux qui se distinguent par leur esprit ou leur science. Il aime écouter les savants. Il s’entoure des gens les plus habiles en toute sorte de sciences. Il fait traduire en françois les meilleurs livres. Il crée une bibliothèque au Louvre dans la tour de la Fauconnerie rebaptisée « la tour de la librairie » où sont classés de nobles volumes sur la théologie, la Sainte Écriture, la philosophie et toutes sciences. Il réussit à y réunir plus de neuf cents volumes. Il y a aussi des cartes de géographie et des instruments de musique.
La tour de la Librairie, ex tour de la Fauconnerie
6) Il construit
Il fait édifier une nouvelle enceinte autour de Paris. Des châteaux comme la Beauté-sur-Marne ou Plaisance ainsi que l’embellissement de l’hôtel de Saint-Paul devenu sa résidence principale et la Bastille Sainte-Antoine voient le jour sous son règne. Mais aussi, il fonde des couvents, des hôpitaux et des collèges auxquels il attribue des revenus nécessaires à leur entretien.
Il y a d’autres réformes qu’il a mis en place. Ce serait trop long à développer dans cette publication.
À la différence de ses prédécesseurs, son père, Jean II et son grand-père, Philippe VI de Valois, les Français ne rechignent pas à payer leurs impôts, car ils savent que le royaume est bien géré par un roi économe et que l’argent ne sera pas dilapidé en folles dépenses.
En conclusion, avec toutes ces réformes, on peine à concevoir comment le trésor royal a pu subvenir à de si énormes dépenses. On peut s’étonner doublement quand on sait que Charles V a payé la rançon de son père de quatre millions d’écus d’or et la reconstruction des villes et des villages ruinés par le pillage pendant la Jacquerie. Et pourtant, Charles V fait face à toutes ces dépenses. Il rend sa cour la plus magnifique et courtisée d’Europe. Mais surtout, il laisse après sa mort un trésor de plus de dix-sept millions, fruit de ses épargnes. Somme qui correspond à deux cents millions de francs au XIX°siècle selon l’historien Just Jean-Étienne Roye.
Voilà un roi que l’on ne peut pas oublier et qui aurait dû être un exemple à suivre pour ses successeurs.