
MORT DE BERTRAND DU GUESCLIN
Nous avons vu lors de ma dernière publication sur Bertrand du Guesclin 1378 – 1379 qu’il était toujours connétable de France, mais que ces amis bretons, l’avaient abandonné. Aujourd’hui encore, on le traite de lâche. Une statue de 2,3 m et d’un pied de 2,5 tonnes fut dynamitée par les indépendantistes en 1977 et en 1988, restaurée, la statue a été taguée et brisée avec une tentative incendiaire. Alors, ceux qui le dénigrent, connaissaient-ils vraiment son histoire et sa vie ?
En fait, c’est simple. Bertrand du Guesclin était un militaire dans l’âme, obéissant, juste, droit et fidèle à sa parole et surtout à celle de son roi. Quand il reçut l’épée de connétable en 1370, il dit au roi et à l’assemblée: « Je ne rendrai cette épée que lorsque tous les Anglais auront quitté la terre de France ». Il n’a jamais trahi les Bretons. En 1379, il obéit au roi de France qui l’envoya en Bretagne pour pacifier le pays. Il se rendit ,assez vite, compte de son erreur quand on lui rapporta que Bertrand du Guesclin ne supportait plus de combattre ses compatriotes et amis. Il lui demanda de revenir à Paris et laissa le commandement au duc d’Anjou. Il l’envoya en Haute-Auvergne repousser l’avancée dangereuse et envahissante des Anglais en Guyenne. Voilà, en quelques mots, la véritable histoire de Bertrand du Guesclin en 1379 avec le problème breton.
Parti de Paris, le comte de Bourbon le reçut en son château du Bourbonnais. Après quelques jours de festivité, il rejoint Le Puy-en-Velay pour y faire des dévotions et des dons. Les députés se plaignaient des ravages des Anglais dans la région. Il partit avec le maréchal de Sancerre pour Saint-Flour et assiégea le village fortifié de Chaliers dans le Cantal, où étaient retranchés des mercenaires à la solde des Anglais, du 20 au 26 juin 1380. La forteresse se rendit. Il se dirigea vers Châteauneuf-de-Randon en Lozère. Les Anglais dévastaient le Gévaudan. Dès qu’ils apprirent l’arrivée de Bertrand du Guesclin, ils se retranchèrent à l’intérieur de leur puissante forteresse. L’assaut fut aussitôt lancé sans résultat. Après plusieurs tentatives, on décida une trêve de dix jours. Si les renforts n’arriveraient pas avant le 12 juillet, le capitaine de la garnison se rendrait et donnerait les clés de la forteresse à Bertrand du Guesclin.
Entre-temps, Bertrand du Guesclin tomba malade. Il eut une fièvre continue et très violente. Malgré tous les soins prodigués, son état de santé se détériorait. Les médecins jugèrent que la maladie était mortelle tant par la violence de la fièvre et davantage à cause des fatigues qu’il avait essuyées pendant quarante ans de combat incessant, mais, aussi, la tristesse dans son cœur d’être séparé de ses amis bretons. L’armée fut avertie de la proche mort de son connétable. Il était impossible d’exprimer la douleur de ces soldats. Chacun disait qu’il perdait un père et un ami précieux.
Il se sentait mourir et ne s’en alarmait pas. Il reçut avec piété le sacrement de l’Église. Il fit son testament. Il récompensa les gens de sa maison et fit de généreuses largesses à son frère Olivier et sa femme Jeanne de Laval. Enfin, il ordonna que son cœur fût porté et inhumé dans l’église des Dominicains de Dinan en Bretagne. Puis, sentant la fin, allongé sur son lit, il demanda qu’on lui apportât son épée de connétable. Il dit dans les derniers instants : « Je ne regrette qu’une chose, de ne pas avoir pu chasser tous les Anglais du royaume comme je l’avais espéré. » Puis en baisant son épée, il murmura au maréchal de Sancerre : « Recevez-la de ma main et je vous en supplie, en la rendant au roi, exprimez-lui toute ma reconnaissance. Assurez-lui que je meurs son serviteur et le plus humble de tous. » Il fit deux ou trois soupirs et rendit son âme à Dieu. Ses fidèles étaient autour de lui, son frère Olivier, Olivier de Mauny de toutes les batailles et le maréchal de Sancerre. Nous étions le 13 juillet 1380.
Le capitaine de la place de Randon, affligé par la mort de ce grand chef, remit les clés de sa forteresse sur le lit de mort du héros. Il y eut une cérémonie avec les Anglais. Tous se rangèrent en bataille aux sons des tambours et des trompettes. Les enseignes et pennons aux fleurs de lys et aux aigles bicéphales aux armes des du Guesclin flottaient au vent. Les lances étaient tendues droites pour les piétons et les épées levées pour les chevaliers.
Cénotaphe à Châteauneuf de Randon
Le roi de France fut très affligé de perdre son connétable, mais, surtout son ami fidèle qu’il aimait tendrement. Son corps fut embaumé dans l’église des Cordeliers du Puy-en-Velay où les entrailles furent enterrées. Le roi ordonna qu’il reposât à la basilique de Saint-Denis à Paris aux côtés de la reine Jeanne de Bourbon et de lui-même qui mourra trois mois plus tard. Les honneurs furent rendus au passage du convoi funéraire au Mans, à Chartres et à Paris.
Tiphaine Raguenel, sa première femme
Bertrand du Guesclin eut deux femmes sans enfant légitime, Tiphaine Raguenel et Jeanne de Laval-Tinténiac. Par contre de son passage en Espagne, il eut deux fils naturels d’une demoiselle de Soria. Le premier fut chevalier de la Calatrava1 et le deuxième aurait été auteur de la maison des marquis de Fuentes. Peut-être un autre fils né en France.
En conclusion, Bertrand du Guesclin était un héros comme on en a peu connu. Il a rendu d’immenses services à la France et à son roi. Son histoire est un tissu sans interruption de toutes les vertus rassemblées. Il a été le plus grand capitaine français de son siècle. Malgré la haute fortune qu’il avait amassée, il a été, toute sa vie, plus grand que sa fortune. Son compatriote d’Argenté disait de lui : « Ce fut l’excellence de la chevalerie. Ce fut un homme sans fard, sans dissimulation et le visage toujours ouvert. Toute sa vie, il a distribué ses richesses pour payer les rançons de ses chevaliers et de ses soldats. »
Sources :
– Histoire de Bertrand du Guesclin, Connétable de France et de …Christophe-Paulin de La Poix de Frémenville · 1841
– Histoire de Bertrand du Guesclin, comte de Longueville, connétable …, Volume 2 Guyard de Berville – 1777
1Fondé au XIIe siècle, il est le premier ordre militaire espagnol.
One thought on “MORT DE BERTRAND DU GUESCLIN”
« Voilà, en quelques mots, la véritable histoire de Bertrand du Guesclin en 1379 avec le problème breton, » écrivez-vous.
Il est certain qu’il fut fidèle à son serment de connétable, et c’est tout à son honneur, et le rompre lui aurait été tout autant reproché en Bretagne où, dit-on, « jamais Breton ne fit trahison » comme une règle absolue. Guyomarch’ de Léon, infatigable défenseur de la Bretagne contre Henri II Plantagenêt, par exemple, s’est vu reprocher à son époque d’avoir brisé son serment d’obéissance à l’Anglais par deux fois. On le surnomma l’Insensé.
Néanmoins, dans vos quelques mots vous oubliez quelques éléments, d’abord les raisons de cette tentative d’annexion : une succession disputée où, face à une héritière qui maintiendra le status quo breton à l’égard des Capétiens et des Anglais, un prétendant, son cousin Jean, définitivement acquis à la cause anglaise au point d’être le seul étranger admis à l’ordre de la Jarretière. Pas de bon augure dans le contexte de succession disputée aux Valois par les Anglais. Ensuite, le roi de France entend profiter de la désunion et de l’absence de concorde consécutifs à la Guerre de Succession bretonne. Le duc Jean IV est peu populaire, souvent absent, il ne reconstruit pas le pays, le peuple garde un souvenir détestable des compagnies anglaises et probablement les deux-tiers de la noblesse, partisans de Jeanne de Penthièvre, n’ont toujours pas renoncé à régler la succession différemment. De fait, le Capétien se dit qu’il sera accueilli en libérateur trop heureux de se débarrasser d’un duc impopulaire et « anglomane. » Un peu comme un certain président russe face à Kiev.
Et voilà où l’analyse ne peut être bâclée. Malgré l’absence duc duc, cette menace capétienne provoque une réaction en Bretagne, unanime, réunissant peuple, clergé et noblesse, Jeanne de Penthièvre et l’ensemble de la noblesse. Les seigneurs de Bretagne « jurent » entre eux « l’association pour empêcher l’invasion étrangère. » Et quand le pays fut en ordre de marche, on dépêcha des envoyés en Angleterre pour réclamer le retour du duc afin qu’il prenne la tête de la défense du pays.
Pourquoi n’est-ce pas une réaction féodale ? Il faudrait beaucoup plus que dix lignes pour l’expliquer, mais nous voyons un élan pour empêcher une « invasion étrangère, » or, cette invasion, c’est Bertrand du Guesclin.
Bien évidemment, du Guesclin n’y met pas grand cœur, mais aucun élément ne suggère à ce jour qu’il fit délibérément échouer la tentative de conquête. Il faut juste rappeler qu’en tant que chevalier breton, son premier devoir est la défense du pays, et même si sa carrière l’a amené à servir en France et en Espagne, le pays en question est la Bretagne.
De là, lui reprocher d’avoir trahi, c’est excessif, quant à s’en prendre à des œuvres d’art, c’est condamnable. Il est normal que dans sa ville natale, on veuille le célébrer, après tout, il est illustre. Mais il est aussi le symbole d’un problème de rapport à l’Histoire. Du Guesclin n’est pas un grand personnage de l’histoire de Bretagne, les innombrables grands personnages bretons ne sont pas, eux, commémorés. Alain Barbetorte, seul souverain au monde à avoir éradiqué la peste viking de son pays n’a même pas une minuscule effigie dans sa bonne ville de Nantes, pas plus de statue d’Arthur de Bretagne, roi héritier d’Angleterre victime de l’usurpation de Jean Sans-Terre égorgé à 15 ans par le Plantagenêt, aucun souvenir de sa sœur Aliénor la Perle de Bretagne, reine héritière de la couronne anglaise, enfermée en Angleterre pendant 42 ans. Et notre cher Alain de Dinan, exemplaire Sénéchal de Bretagne qui servit avec droiture et courage la duchesse Constance et ses enfants en tenant tête à Richard Cœur-de-Lion qu’il parvint à désarçonner lors d’un affrontement ? La liste ne fait que commencer.
Et ceci résume cela, le « syndrome du Guesclin » qui, en définitif, perpétue l’idée d’une histoire de Bretagne diminutive qui doit s’effacer face à la grande et glorieuse histoire des Capétiens. Et c’est peut-être, en définitif, ce qui est reproché à ce cher Bertrand car il cristallise une somme de ressentiments plutôt divers et variés. Mais il devrait s’en sortir bientôt, grâce aux excellents travaux de redécouverte de l’histoire bretonne menés depuis quatre ou cinq décennies, notamment outre-Manche, car nous sortons peu à peu des vieux mythes. Alors, peut-être que les Bretons auront davantage envie de célébrer leur histoire et de s’intéresser à autre chose qu’à Anne ou Bertrand.
Cordialement