L’ÉCLUSE, 23 JUIN 1340, LE TRAFALGAR MOYENÂGEUX
Le comté de Flandre s’étend le long de la mer du Nord jusqu’aux rives de l’Escaut. C’est une région prospère qui tire sa richesse de l’industrie textile. Elle est vassale du royaume de France. La Flandre est dirigée par le comte Louis de Nevers. Les villes comme Bruges, Anvers, Gand et Ypres pour les principales commercent avec l’Angleterre pour sa laine. Son exportation rapporte beaucoup aux anglais et les flamands en tirent profit en la transformant en tissu, vêtements et toutes sortes de produits finis qui sont vendus principalement en Europe.
En 1337, la colère gronde car les riches marchands drapiers exploitent durement les ouvriers des métiers du textile. De plus, la région est paralysée par un embargo anglais ordonné par Édouard III sur la laine qui crée du chômage et de la misère. N’oublions pas que la guerre est déclarée entre Édouard III et Philippe VI de Valois. L’anglais n’apprécie guère d’avoir été évincé de la couronne de France. Il a du sang capétien qui coule dans ses veines. Il décide de provoquer Philippe VI. Les troupes d’Édouard III ravagent les campagnes en limite du royaume de France. Son but est de déclencher une bataille rangée contre Philippe VI. Ce dernier lève l’ost. Mais Philippe VI n’ose pas affronter le roi d’Angleterre et chacun se retire.
L’entretien des troupes coûte cher et il n’y a pas de résultat en d’autres termes pas de victoire. En février 1340, Édouard III s’en retourne chez lui en laissant sur place son fils et son épouse en gage d’une prochaine venue.
La bataille de l’Écluse se déroula dans l’embouchure du bras de mer (zwin en flamand) de Bruges. Au X° siècle, Bruges est un grand port de commerce du nord de l’Europe mais les bouleversements climatiques et les forts coefficients des marées d’équinoxe entachent la prospérité du port. Le bras de mer s’enlise et les bateaux ne peuvent plus y accoster. Il est décidé de construire des avant-ports dont celui de L’Écluse. A la veille de la guerre, L’Écluse est devenu une plate-forme incontournable pour le commerce de la laine avec l’Angleterre. Les français le savent. Ils empêcheront les anglais d’accoster sur le continent par ce port. La bataille aura lieu à l’extérieur du port dans la partie le plus étroite du zwin.
Souvenons-nous, Édouard III s’est engagé à revenir en Flandre lorsqu’il embarque pour l’Angleterre le 21 février 1340. Le 04 juin 1340, il décide de repartir afin de respecter sa parole mais il ne peut compter que sur 40 bateaux. Pourtant, il a promis aux flamands qu’il prendrait la tête des armées coalisées et qu’il irait combattre Philippe VI en terre de France. C’est fort compromis !!
Alerté par des espions flamands de l’arrivée de la Grande Armée de mer de Philippe VI dans le zwin, l’entourage du roi d’Angleterre tente de le dissuader de partir :« Ce serait trop dangereux, Votre Majesté, car nous sommes en sous nombres par rapport à l’importante flotte française.» Même son chancelier cherche à le décourager mais en vain il veut partir tout de même. Une dispute s’ensuit. Le chancelier démissionne. Édouard III juge qu’un ecclésiastique ne doit pas se mêler d’affaires militaires. Il demande conseil à ses 2 compagnons de guerre, 2 vieux briscards, l’amiral Robert Morlay et le pirate flamand John Crabbe au service du roi. Tous deux sont du même avis que le chancelier.
Le roi s’énerve:« Vous vous êtes mis d’accord avec l’archevêque pour m’empêcher de partir, de toute façon même si cela ne vous convient pas, j’irai quand même. Que ceux qui ont peur restent chez eux. Ils rétorquent, si Votre Majesté est décidée à partir, nous la précéderons et ceci jusqu’au devant de la mort.» Le roi se calme. Il ordonne à tous ses ports d’accélérer l’armement des navires. En une semaine la flotte anglaise passe de 40 à 200 navires de tous tonnages. Le 22 juin 1340, elle appareille du port anglais d’Ipswitch à l’embouchure de l’Orwell. Édouard III embarque sur la cogue royale Thomas Beauchamp. Les 200 navires et les 50 de la flotte du Nord totalisant 20 000 hommes arrivent le 23 juin 1340 en vue les côtes flamandes au large de Blankenberge loin de la flotte française.
De son côté, les français ne sont pas en reste. Philippe VI sait qu’Édouard III a donné sa promesse aux flamands de revenir et de le provoquer. Il sait aussi qu’il ne pourra accoster que par le port de l’Écluse. Tous les ports français sont sur leur garde. Ce ne sera que sa seule issue. Il décide d’envoyer «La Grande Armée de mer» face au port et d’en boucher l’entrée. La flotte, se composant de 20 000 hommes répartis dans 212 navires, est prête. Elle sera commandée par les amiraux Quiéret et Béhuchet. Les navires partent de tous les ports des côtes normandes et picardes le 23 mai et se rejoignent à l’Écluse le 8 juin 1340. Aux navires français, se sont jointes des galères génoises commandées par Barbavera. Au lieu de rester au sein de la flotte, les marins génois créent des incidents. Ils débarquent sur l’île de Cadzan pillent les ressources et tuent toute la population soit 300 personnes. Les français, de leur côté arraisonneront des navires flamands et leurs équipages seront sommairement mis à mort.
Ces agressions françaises seront lourdes de conséquence. Les flamands se vengeront quelques jours plus tard quand la bataille sera en phase d’être perdue par les français.
Nous sommes au matin du désastre naval de la France le 24 juin 1340. Les pièces sur l’échiquier, la Mer du Nord, sont en place. Les anglais stationnent en face du port de Blankenberge. Les français bloquent l’entrée du bras de mer au large du port de l’Écluse
Édouard III a un objectif : battre la flotte française, devenir la seule puissance maritime de la région et se venger des affronts du passé. Il envoie 3 de ses chevaliers en mission de reconnaissance des forces françaises. Ils débarquent et s’avancent jusqu’à voir l’énorme flotte française. Ils comptabilisent le nombres de navires et leurs dispositions. Ils rapportent au roi ce qu’ils ont vu. Ils ont relevé environ 200 bâtiments dont 20 grosses nefs et « Le Christophe » navire amiral du roi d’Angleterre saisi par les français lors de la bataille d’Armuinden en 1338 . Les 2 amiraux de la flotte Béhuchet et Quiéret sont là, aussi. Loin d’être impressionné par leur rapport Édouard III se réjouit ouvertement : « Voici l’occasion que j’avais longtemps souhaitée, dit-il, avec l’aide de Dieu et de Saint Georges, je vais les combattre et me venger de tous les affronts qu’ils m’ont faits. »
De leur côté, les français se préparent aussi. Ils ont bien vu les espions anglais. Les 2 amiraux ont 2 possibilités soit d’attaquer en pleine mer ou rester en défense dans le Zwin. Ils optent pour cette dernière solution. Ils sont novices en tactique militaire. Barbavera, le capitaine des Génois, bénéficie d’une grande pratique des combats navals. Il leur recommandent de ne pas rester enfermé. « Seigneurs, leur dit-il, voyez le roi d’Angleterre avec toute sa marine qui vient sur nous. Si vous voulez croire mon conseil il faut que vous sortiez en haute mer. Car si vous demeurez ici, ils auront le vent, le soleil et les flots et vous, vous serez enfermés, l’amiral Quiéret répond, nous refusons votre proposition. C’est ici que nous les attendrons et c’est ici que nous aurons notre aventure. Il n’insista pas et leur dit, Seigneurs, puisque vous ne voulez pas m’écouter, je refuse de me perdre et je sortirai de ce trou avec mes 4 galères. »
La décision est prise, la flotte française formera 3 lignes. Tous les bâtiments s’amarreront les uns aux autres, flanc contre flanc par des chaînes en acier. Cette disposition ressemble à une forteresse imprenable. La 1° ligne est composée de nefs les puissantes. La 2° ligne sera formée de plus petits bateaux et la 3° ligne regroupera les galères et les plus modestes nefs.
Aux premières lueurs du jour du 24 juin, la flotte anglaise se met en ordre de bataille. La 1° ligne sera composée des plus gros navires. Ils seront placés à l’avant garde et sur les ailes. Les archers gallois, de fins tireurs avec leurs longbow , embarqueront dans ces derniers. La mission est de déverser un maximum de flèches sur les français. La 2°ligne sera composée de petits bateaux avec des hommes aguerris au combat. La 3° ligne » la flotte de réserve » servira à remplacer les combattants fatigués d’une journée de combat.
Ce matin là, le vent est contraire et empêche la flotte anglaise d’avancer. Les bateaux sont poussés vers le large. Ils cherchent à récupérer les vents favorables mais en vain. Dans l’après midi, la confusion est toujours présente dans les rangs anglais. Pas de vent favorable. Les français s’aperçoivent de cette manœuvre et pensent que les anglais sont des couards et qu’ils quittent en hâte le champs de bataille. Mauvaise interprétation !! Les amiraux français décident de changer de formation de combat. Ils désolidarisent les navires entre eux. Ils prennent l’ennemi en chasse. Les français étaient joyeux et confiants. Les amiraux français sont sûr d’avoir pris la bonne décision. Mais la liesse sera de courte durée. Les vents deviennent favorables, le soleil est dans le dos des anglais. La flotte tire de bord et fonce sur les navires français.
Certains historiens auraient penser que cette manœuvre était volontaire et aurait été orchestrée par Édouard III, lui même, afin de tromper les français. Rien ne peut le prouver. Avant le choc, « la Riche » nef royale française prend en chasse un navire anglais. Il s’ensuit un combat farouche et celui-ci sombre. En voyant cet exploit, les français sont encore plus joyeux.
La 1° ligne française : Maintenant, c’est le choc des avant-gardes. Les anglais déversent un déluge de flèches sur les bateaux français. Puis, il s’ensuit un abordage des plus meurtriers. Les anglais attaquent à la hache, au sabre et au couteau. En quelques minutes la mer est couleur sang. Les français combattent bravement. Édouard III est même blessé. Malgré le courage des soldats français, l’avant-garde ne résiste pas. Édouard III veut plus qu’une victoire, une vengeance. Il tient à récupérer son navire royal « Le Christophe » aux mains des français et, surtout, veut tuer les 2 amiraux Quiéret et Béhuchet. En effet, ils sont responsables du sac de Southampton, du massacre des équipages à la bataille d’Arnemuiden et multiples ravages lors de leurs incursions sur les côtes anglaises en 1337.
Les grandes nefs royales françaises tombent tour à tour. « Le Christophe » est capturé et c’est autour du « St Georges » navire amiral français. Les anglais y découvrent Quiéret blessé et Béhuchet combatif. Ils sont faits prisonnier. Quiéret sera décapité sur-le-champs et Béhuchet pendu à la vergue.
La 2° ligne française : La flotte française n’a plus de chef. Le moral est au plus bas. Le combat est disproportionné. Les grandes nefs anglaises s’attaquent aux plus petits navires français. C’est la débandade. Les soldats fuient en barque ou à la nage vers la côte. Ils sont rattrapés sur la plage et massacrés.
La 3°ligne française : C’est la débâcle. Chacun tente de s’enfuir.
Le soir arrive. Tous, anglais et français, sont fatigués d’une dure journée de combat. Les anglais se retirent et reviendront demain pour finir « le travail ». Du côté des français certains attendent la nuit pour fuir vers les côtes françaises. D’autres s’ancrent sur place. Les hommes cherchent le sommeil afin d’être d’attaque pour le prochain combat. Mais nous n’avons pas encore parler de l’aide des flamands demandée par Édouard III. Ils n’ont pas participé au combat. Ils sont frais et disponibles. Ils ne souhaitent qu’une chose : Se venger du massacre des leurs en 1328 par l’armée de Philippe VI et du massacre des habitants de l’île de Cadzand par Barbavera 2 jours auparavant.
Quand la nuit noire s’installe, ils embarquent dans de petits bateaux et s’approchent à la rame des navires français. Ils montent à bord sans bruit. assoiffés de vengeance, ils se jettent sur les soldats français en hurlant et massacrent les survivants au repos. Un bain de sang s’ensuit.
Cette dernière action mettra un point final à la bataille de l’Écluse. « La grande Armée de mer » de Philippe VI est vaincue.
Le jour se lève. Les combats ont duré jusqu’à tard dans la nuit. Le zwin est désert. Ce qui reste de la flotte française est parti. Les flamands sont rentrés. Les anglais appareillent pour le retour en Angleterre. Des corps flottent encore à la surface de l’eau. La marée descendante a emporté les autres corps. Il est l’heure de faire le bilan.
16 000 français ont péri au combat ou en se jetant à l’eau pour échapper au massacre. Un nombres non comptabilisé de blessés rejoint la côte flamande puis par la Picardie et la Normandie. 170 navires ont sombré ou ont été capturés par l’ennemi. La reconstruction coûtera très chère à la France.
9 000 anglais sont morts dont la fine fleur de la noblesse anglaise. Les pertes matérielles sont minimes.
Philippe VI ne connaît pas encore l’issue de la bataille de l’Écluse. Son entourage proche ne souhaite pas lui annoncer la défaite de vive voix. La mission en revient à son bouffon. Il s’y prit de la manière suivante. « Sire, les anglais sont tous des couards parce qu’ils ont tous eu peur de sauter à la mer, alors que nos braves français l’ont tous fait. » Si l’anecdote est vraie, je ne pense pas que le roi a ni pouffé de rire ni apprécié la boutade. Partout en France, la défaite est accueillie avec tristesse. On cherche vite des boucs émissaires comme Quiéret ou Béhuchet. Après la colère vient la solidarité envers les rescapés.
Après la défaite de l’Écluse, Édouard III devient « le Maître des mers ». La flotte française est anéantie. Il dira même : « Désormais, le passage sera plus sûr pour nos fidèles sujets ». Son orgueil sera de courte durée car la France réagit et se remobilise très rapidement. Il faudra attendre l’avènement de Charles V pour redorer le blason de la marine française car de nombreux navires seront maintenant équipés d’artillerie lourde.