SIÈGE DE DINAN 1359. DU GUESCLIN CONTRE CANTERBURY
le duc de Lancastre accompagné du comte Jean de Montfort se dirigent maintenant vers Dinan. Fin d’après midi, il met le siège sous les remparts de la ville. Grâce à Bertrand du Guesclin et aux siens, la ville résiste aux premières attaques. Mais les anglais sont plus nombreux et les troupes plus fraîches. Les assauts répétés diminuent les effectifs des assiégés. Les vivres viennent à manquer. Tous sont fatigués. Bertrand réunit son Conseil de guerre :
– Seigneurs, on ne peut plus continuer dans ses conditions. Il nous manque nourriture, munitions et hommes. La famine se fait sentir. Il nous faut négocier notre reddition.
Ils envoient un héraut au duc de Lancastre :
– Sire, Bertrand du Guesclin et le capitaine de la garnison s’engagent à vous donner les clés de la ville si les renforts n’arrivent pas avant quinze jours. Aujourd’hui, un émissaire a été envoyé à Charles de Blois pour lui demander de l’aide.
– Héraut ! Dites-leur que j’accepte les termes de la trêve. Dans quinze jours, ils me remettront les clés de la ville.
Un évènement, sans rapport avec le siège vient glorifier, un peu plus, la renommée de Bertrand. Olivier du Guesclin, son frère, profitant de cette trêve sort se promener dans la campagne avec son destrier et surtout sans ses armes. Sur le chemin du retour, il rencontre fortuitement un chevalier et cinq écuyers anglais. Leur chef répond au nom de Thomas de Canterbury, frère de l’archevêque de Canterbury et primat d’Angleterre.
Il interpelle Olivier :
– Gentilhomme ! Quel est votre nom ? Que faites-vous ici ?
– Seigneur, je suis Olivier Du Guesclin, frère de Bertrand du Guesclin. Je rentre en ville.
– Je hais votre frère, ce misérable aventurier.
Puis il l’injure de tous les mots. Canterbury et ses hommes l’empoignent. Il lui dit :
– Gentilhomme, vous êtes mon prisonnier et je vous mets à rançon pour 1000 florins d’or et je vous rendrai votre liberté. Si vous ne me suivez pas, je vous coupe la tête.
– Mais ! Seigneur, vous avez grand tort. Nous sommes en période de trêve et vous n’avez pas le droit de me faire prisonnier. Puisqu’il en est ainsi, je veux que vous préveniez mon frère Bertrand pour qu’il me rende justice.
– Quand il saura que vous m’avez fait prisonnier pendant la trêve, il sera courroucé et vous goutterez le fil de son épée.
Un écuyer breton est témoin de l’emprisonnement de son frère. Immédiatement, il enfourche son cheval et rentre à vive allure dans Dinan le prévenir.
L’écuyer se présente à Bertrand Du Guesclin :
– Seigneur, votre frère Olivier a été fait prisonnier par un anglais du duc de Lancastre. J’ai entendu dire qu’il s’appelle Thomas de Canterbury.
Rouge de colère, il enfourche son cheval et part au galop vers le camp anglais. Sans se soucier du danger d’être arrêté, Bertrand se présente au poste de garde des anglais.
– Sentinelles, je veux voir votre Sire, le duc.
– Attendez, je vais me renseigner si le duc est disponible.
De retour, il est conduit dans la tente du duc de Lancastre
Le duc joue aux échecs avec John Chandos quand est introduit Bertrand. Sont présents le comte Jean de Montfort, Robert Knollys et le comte de Pembrocke.
Le duc s’arrête de jouer et dit à Bertrand :
– Que nous vaut l’honneur de votre visite, Bertrand ! Accepteriez-vous ce verre de vin avec moi ?
Bertrand met un genou à terre en signe de révérence. Il lui demande de se relever et l’emmène près d’une fenêtre de la tente pour qu’il s’explique. Il lui raconte les faits:
– Sire, je ne le boirai que lorsqu’on m’aura rendu justice. Un de vos chevaliers, Thomas de Canterbury, a arrêté mon frère Olivier pendant la trêve que vous avez acceptée. En plus il lui demande une rançon.
– Bertrand ne vous mettez point dans cet état. La justice vous sera conservée. La chose se résoudra présentement.
Chandos qui a de l’estime pour Bertrand est surpris :
– Je ne comprends pas ! Mon chevalier aurait violé la trêve.
Chandos outré dit à son lieutenant :
– Faites-moi amener Thomas ! Qu’il s’explique sur la demande de Bertrand.
Thomas Canterbury se présente, devant son supérieur, avec l’arrogance due à son rang de haute naissance. John Chandos lui expose la situation :
– Voici Bertrand qui vient vous accuser de ce que, malgré le répit accordé aux assiégés, vous avez aujourd’hui pris son frère et voulez le rançonner comme votre prisonnier. Qu’avez-vous à répondre ?
– Sire, si ce Bertrand que je vois ici, prétend que j’ai fait cela dont vous me blâmez et que l’on met la parole d’un chevalier en doute, alors voici mon gage: Je suis prêt à prouver que je suis dans mon droit par un combat au corps à corps.
Puis, il jette le gantelet aux pieds de Bertrand en guise de duel.
John Chandos rétorque à Canterbury :
– Libérez de suite votre prisonnier, c’est un ordre ! nous sommes en trêve. Vous n’êtes pas dans votre droit.
– Il n’en est pas question. S’il le faut, je soutiendrais les armes contre quiconque le démentirait.
Bertrand ramasse le gantelet et dit à Canterbury :
– J’accepte le défi. Vous avez eu la témérité de me jeter votre gage pour maintenir la mauvaise cause mais je vais prouver à tous vos Seigneurs, ici présents, que vous êtes un faux chevalier et un traître. Je vous combattrai avant qu’il fasse nuit. Vous mordrez la poussière devant tous vos seigneurs ou je mourrai de honte.
– Je ne vous ferai pas défaut. N’ayez crainte. Je ne dormirai que lorsque je vous aurais combattu.
– Et moi, je le jure devant la Sainte Trinité, que je ne mangerai 3 morceaux de pain dans du vin avant que je sois armé.
Puis Chandos dit à Bertrand :
– Seigneur, si vous le souhaitez, je vous ferai bien équiper et vous prêterai mon meilleur destrier. J’ai hâte de voir ce combat !
– Cela me va et je vous en remercie.
Le duel a lieu sur la place du marché de Dinan devant toute la population. La foule s’inquiète pour son héros car Canterbury est connu pour être un vaillant et vigoureux guerrier anglais.
Une noble demoiselle de la ville, Tiphaine Raguenel, fille de Robert Raguenel, vicomte de Bellière et de Jeanne de Dinan, très belle et douée de toutes les qualités d’esprit, est présente. Elle entend la rumeur d’un combat entre Bertrand du Guesclin et un anglais. Elle sait que Bertrand gagnera ce duel. Cette femme n’est autre que la future épouse de Bertrand. Elle a 24 ans. Très versée dans l’astronomie et la philosophie, elle passe pour être la femme la plus instruite et plus sage du pays.
Tiphaine demande aux villageois de l’écouter et les rassure :
– Ne vous inquiétez-pas, Bertrand du Guesclin gagnera ce duel car il est dans son droit.
– En êtes-vous sûr, Tiphaine ?
– Je vous le jure car j’ai interrogé les astres.
De la tristesse, ils passent à la joie, de la crainte de l’évènement de ce duel à l’espérance d’un heureux succès.
Tiphaine, malgré la laideur de Bertrand, n’a d’yeux que pour lui. Elle l’aime en secret. Elle voit son écuyer, Amaury, et lui dit :
– Allez voir votre seigneur et dites lui qu’il sera vainqueur de ce duel, je le garantis.
Amaury rapporte les paroles de Tiphaine à Bertrand qui s’empresse de répondre :
– Ne t’arrêtes pas à ces sortes de contes et illusions qui ne sont que des marques de faiblesse des femmes et enfin, des signes de superstitions indignes d’un homme de cœur. Vas ! fou, sottises que tout cela ! Qui se fie à une femme n’est guère avisé. Une femme n’a pas plus de sens qu’une brebis. En un mot, on n’a jamais vu un homme vaillant et sage mal sortir d’une juste entreprise.
Avant le combat, deux amis de Thomas de Canterbury, Robert Knollys et Thomas de Grandson tentent de dissuader leur ami de combattre :
– Thomas, je vous en conjure, je connais bien ce Bertrand. Je peux vous dire que vous ne vous en sortirez pas vivant. Faites la paix avec lui.
– J’éprouve des regrets mais je lui ai lancé un défi que je ne peux plus arrêter et qu’il n’arrêtera pas. Regardez toute la population de la ville est là ?
John Chandos et le comte de Pembrock s’avancent vers Bertrand et entament une discussion :
– Bertrand, vous avez raison, Canterbury a fait plus un emportement irréfléchi qu’une méchanceté préméditée. Je vais lui demander qu’il reconnaisse publiquement son erreur et qu’il libère votre frère sans rançon.
– Attendez ! dit Bertrand irrité et rouge de colère. S’il veut s’excuser, il doit m’amener son épée par la pointe et se rendre à la discrétion.
– Mais, Bertrand, c’est impossible ce que vous me demandez. Canterbury ne se soumettra jamais à cette condition honteuse.
– Je jure devant Dieu vivant qu’aujourd’hui je lui ôterais son épée et sa vie ou j’en mourrais de peine afin d’apprendre à ceux qui font profession d’honneur de garder plus religieusement la foi des traités.
Alors le combat peut commencer.
Les deux cavaliers se mettent à chaque bout de la place et attendent le signal de départ du duc de Lancastre. Ce dernier autorise le combat. Ils s’élancent et se précipitent l’un contre l’autre avec impétuosité. Ils se chargent si violemment avec leur épée que milles étincelles jaillissent de leur armure. Canterbury frappe si fort pour fendre la tête de son adversaire, qu’elle ripe et tombe à terre. Bertrand descend de son cheval, prend l’épée et la jette hors du champ du combat. Canterbury profite de ce moment et le course jusqu’à l’épuisement car celui-ci est toujours cuirassé et à pied. Il ne souhaite qu’une chose l’écraser sous les sabots de son destrier. Bertrand comprend l’objectif de son ennemi : l’épuiser et faire passer son cheval sur son corps. Bertrand retire ses grèves et ses genouillères au plus vite pour être libre de ses mouvements. Le cheval arrive à vive allure droit sur lui. En un instant, il s’écarte et le pique. Il se cabre emmenant dans sa chute son cavalier. Bertrand se précipite alors sur son ennemi comme un lion enragé. Il arrache le bassinet et frappe si fort son visage que Thomas saigne fortement. Il est aveuglé par le sang. Bertrand dit à son ennemi à terre ensanglanté :
– Dites-moi que vous êtes vaincu ou je vous tue.
L’anglais, furieux de sa défaite, lui répond :
– Plutôt mourir que de m’avouer vaincu.
Bertrand part dans une furie indéfinissable. Il continue à le frapper avec les gantelets de la traîtrise jusqu’à l’annonce de ses torts. L’anglais ne peut plus répondre tellement il est blessé au visage. Bertrand tire la dague de son fourreau et est prêt à en finir quand interviennent ses amis bretons et les anglais du duc en toute hâte.
– Ami Bertrand, cessez le combat, votre ennemi est vaincu. Vous en avez assez fait. L’honneur de la journée est pour vous.
Bertrand, enragé, plein de sueur et de sang, leur répond ainsi :
– Beaux seigneurs ! Laissez-moi finir ma bataille car, par la foi que je crois en Dieu, ou il se rend prisonnier pour avoir pris mon frère Olivier ou je vais le tuer dans l’arène de cette place.
Robert Knollys à Bertrand :
– Bertrand, veuillez rendre votre ennemi au duc qui vous en serez gré et vous en tiendra bon compte. Vous en avez assez fait, il est à votre merci.
– J’accepte votre requête pour le duc.
Bertrand sort de la lice par la barrière ouverte au son des trompettes et des acclamations de la ville.
S’avançant vers le duc, Bertrand s’agenouille et lui dit :
– Noble Duc ! Je vous prie et requiers de ne point me haïr, ni de me blâmer d’avoir maltraité ce meurtrier. Si vous ne m’aviez pas demandé d’arrêter, je l’aurai tué sous vos yeux.
– Messire Bertrand, vous avez vaillamment soutenu votre bon droit. Votre frère sortira de prison et il aura milles livres pour s’équiper. Pour vous, je vous donnerai les armes et le destrier de ce félon. Quant à lui, je le bannis de ma cour car les traîtres n’y sont pas acceptés. Je puis vous dire que je n’ai jamais vu un aussi beau combat.
Puis il s’adresse à Chandos :
– Faites-moi amener le frère de Bertrand du Guesclin et rendez-lui son équipement ainsi que ses armes. Faites moi venir aussi Canterbury que je m’explique avec lui.
Canterbury, ses esprits recouvrés, se présente devant le duc puis s’agenouille en présence de Bertrand:
– Canterbury, je vous le dis. Votre action envers cet homme n’est pas conforme à la trêve que j’ai signé avec la ville. Aussi, vous dédommagerez d’abord ce jeune homme de mille florins d’or puis vous donnerez à messire Bertrand vos armes et votre destrier et enfin, comme vous avez bafoué mon honneur, je vous bannis de ma cour.